L'orthophonie aujourd'hui : un constat sans complaisance

Depuis quelques temps déjà, sur les réseaux sociaux professionnels, des orthophonistes de tous horizons, salariés, libéraux, se parlent et lèvent le voile sur les difficultés ressenties dans leur exercice. Absurdités administratives, travail à la chaîne, manque de reconnaissance, doutes sur l’avenir, découragement, colère… au fil des discussions les mêmes sujets reviennent, les mêmes mots, durs, sans complaisance. Le constat se fait jour et il est sans appel : une partie de la profession a mal à son métier.

 

Des points positifs il y en a, oui. Le métier est multiforme, nos compétences sont de plus en plus diversifiées, nous pouvons nous former pour les développer encore, nous possédons encore une certaine liberté de pratique (pour combien de temps ?)...

 

Mais tout ça ne suffit plus. Ni ça, ni les gratifications reçues en sourires des patients que l’on soigne.


Un exercice salarié dans un triste état

 

L’exercice salarié, pour lequel se battent actuellement les orthophonistes comme les autres rééducateurs, souffre d’une désaffection massive des professionnels, en raison d’un manque d’attractivité chronique des postes proposés, et d’un manque de reconnaissance :

  • Au travers des salaires, ridiculement bas, parmi les plus bas que l’on puisse trouver dans le secteur de la santé, et cela malgré la reconnaissance du niveau master...
  • A travers le statut qui leur est proposé, le manque de perspectives d’évolution, le manque de reconnaissance de l’expertise spécifique des professionnels de l’orthophonie, la précarité dans certaines situations (par exemple pour les contractuels à l‘hôpital)...

 

Les conséquences sont graves pour les patients et l’avenir de la profession :

  • Les perspectives de recherche dans nos domaines s’en trouvent affectées.
  • La formation des étudiants peut s’en trouver compromise à court terme, des écoles sont gérées par des professionnels qui ne sont pas orthophonistes mais neuropsychologues !
  • Les patients peuvent de moins en moins bénéficier d’orthophonie à l’hôpital et dans les centres de rééducation, alors que l’on sait que la prise en charge précoce et intense est essentielle notamment en neurologie ou post chirurgie ORL.
  • Les patients qui le nécessitent peuvent de moins en moins bénéficier de prises en charges adaptées pluridisciplinaires, incluant l’orthophonie, dans les structures de soin médico-sociales. Leurs familles se trouvent écartelées, avec des choix impensables à faire entre les différents soins nécessaires pour leurs enfants (doubles prises en charge libéral/institution interdites), ou si elles obtiennent une dérogation, doivent se contenter d’une prise en charge bancale, inadaptée à la sévérité des troubles, en l’absence d’une réelle coopération entre structures et libéraux.
  • Les orthophonistes dans certains services sont purement et simplement remplacés par des professions avec lesquelles nous avons des frontières communes (ergothérapeutes, kinés, psychomotriciens,...), au risque de voir à terme notre champ de compétences drastiquement réduit !

Un exercice libéral en recherche de souffle

L’exercice libéral a énormément évolué ces dernières années, et le fossé s’est creusé entre ce que l’on exige de lui (exigences conventionnelles, administratives, expertise professionnelle, investissement toujours accrus...), et les moyens dont il dispose, l’évolution touchant même parfois aux valeurs fondamentales du métier, et générant des effets pervers et dangereux pour la profession comme pour les patients.

  • La demande de prise en charge augmente en libéral pour des cas de plus en plus lourds qui relèvent de structures de soin et nécessitent des prises en charges pluridisciplinaires que nous n’avons pas les moyens de mettre en oeuvre ! Rappelons que rien n’est prévu dans la NGAP pour les actes de coordination, les orthophonistes qui acceptent ce rôle travaillent en partie bénévolement.
    • Corollaire désastreux 1 : les listes d’attente s’allongent dans de nombreux secteurs car ces prises en charge se font bien souvent sur plusieurs années et de manière intensive, d’autant plus allongées qu’elles ne peuvent être aussi efficaces que nécessaire dans ce contexte.
    • Corollaire désastreux 2 : les orthophonistes libéraux qui acceptent de signer des conventions avec les structures se retrouvent en situation de cautionner l’inconséquence des pouvoirs publics qui ne font rien pour améliorer l’attractivité du salariat, et en porte-à-faux vis à vis du combat des salariés (problème clair de confraternité). Par ailleurs il devient un salarié déguisé, “salariat” dont il supporte tous les inconvénients (il n’exerce pas librement, dépend des choix et projets de la structure pour le patient bénéficiaire, n’a pas le statut de véritable partenaire - les échanges se font toujours dans un seul sens, leur parole n’est que peu prise en compte -  supporte des contraintes induites de réunions et documents à rédiger, des contraintes d’horaires et dates de PEC..) sans bénéficier de ses avantages (congés payés, protection sociale..).
    • Corollaire désastreux 3 : les orthophonistes libéraux qui n’acceptent pas de signer ces conventions, ou ceux que l’on n’informe pas de l’existence d’une prise en charge en structure prennent le risque de se trouver dans une situation illégale de double prise en charge et de se voir réclamer des indus par les caisses. Est-ce réellement à l’orthophoniste d’enquêter pour savoir s’il se trouve dans ce type de situation ? N’avons-nous pas autre chose à faire ?
  • L’exigence augmente sans cesse concernant la complexité et la technicité du bilan orthophonique (anamnèses fouillées, tests étalonnés, analyse pointue, diagnostic à l’issue du bilan - impossible dans un certain nombre de cas - , rédaction d’un compte-rendu d’architecture définie), nécessité d’expertise que nous ne contestons pas mais qui doit être rétribuée à sa juste valeur, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui ! Pour le même type de travail, nécessitant le même type d’investissement en matériel et en temps, rappelons qu’un psychomotricien, un ergothérapeute, un psychologue facturent entre 90 et 300 euros en moyenne, là où nous demeurons à des tarifs gelés entre 40 et 75 euros.
  • L’élargissement des compétences rééducatives avec les exigences de formation continue et l’amélioration de la formation initiale nous donnent désormais la capacité de prendre en charge de très nombreux troubles et des pathologies nouvelles, mais sans pour l’heure que la NGAP ne le prenne en compte ! Nous nous trouvons ainsi avec une NGAP qui nous bride autant qu’elle nous brade, nous empêchant de déployer les possibilités infinies à notre disposition pour des traitements à l’efficacité accrue. Par ailleurs, les indemnisations de ces formations sont encore loin d’être suffisantes pour permettre de s’y engager pleinement et aussi souvent que nécessaire.
  • L’augmentation aberrante du nombre de codages différents pour les actes, dont la logique reste à définir, car ils ne reflètent ni la réalité de la pratique quotidienne, ni les besoins du terrain, constitue un casse-tête administratif supplémentaire, tout en n’apportant AUCUNE solution concrète pour la prise en compte de l’ensemble du travail réalisé par les orthophonistes en dehors des temps de séance. Nous nous trouvons ainsi avec une NGAP usine à gaz, qui déshumanise le patient, et ne sert au final qu’à satisfaire la folie administrative de ceux qui en tirent des statistiques et contrôlent nos pratiques.
    • Corollaire dangereux 1 : le risque d’erreur de cotation (et donc de contrôle et demandes de remboursement d’indus) est augmenté car bon nombre de collègues demeurent perplexes face à cela, ne sachant plus dans quelle case enfermer les patients qu’ils rencontrent, et cela d’autant plus que, les orthophonistes de terrain le savent, il est bien souvent impossible de définir un diagnostic unique et définitif à l’issue du bilan, et cela d’autant plus qu’il existe souvent des comorbidités.
    • Corollaire dangereux 2 : le risque est grand de déshumaniser totalement le patient, en le découpant en pathologies ou en troubles, comme si tout dans l’humain n’était pas interconnecté. Le risque associé étant de croire et de faire croire qu’à chaque pathologie ou trouble l’on peut faire correspondre une technique particulière, un traitement standardisé, qui “guérira” le patient à coup sûr.
  • L’augmentation de toutes les exigences normatives (exigences de télétransmission, d’utilisation de SCOR, exigences de mise aux normes d’accessibilité des cabinets, exigences sur les architectures rédactionnelles, rédaction de notes d’évolution, etc) ne s’est pas accompagnée d’une augmentation significative de la rémunération (ni de baisses de charges sociales) permettant de faire face au surcroît de travail et aux charges financières induites.

En somme, beaucoup d’orthophonistes se plaignent désormais de devoir travailler à la chaîne pour pouvoir vivre décemment de leur métier, de crouler sous les charges, les contraintes, sans reconnaissance réelle. Beaucoup sont fatigués, insatisfaits de ce qu’ils font, aimeraient viser plus haut car ils savent qu’ils le peuvent, mais demeurent frustrés car l’exercice conventionnel ne le leur permet pas. Certains se posent la question du déconventionnement, d’autres celle du dépassement d’honoraire plus généralisé. D’autres ont décidé de cesser tout travail bénévole annexe. Certains enfin envisagent de partir exercer à l’étranger.

 

On peut ajouter à cela tout un ensemble de difficultés annexes, liées à la méconnaissance de l’essence de notre métier, et au manque de reconnaissance de notre spécificité dans le champ de la santé, qui plombent le quotidien :

  • Augmentation des difficultés avec le monde scolaire :
    • Intrusions incessantes tant dans les diagnostics que dans l’orientation donnée aux soins, voire négation de notre compétence à poser le diagnostic (demandes de diagnostics aux centres référents et structures médico-sociales). Et parfois encore obstruction aux soins et refus de laisser sortir les enfants sur le temps scolaire ou sous conditions (paperasse…).
    • Pressions accentuées sur les parents : c’est l’école qui demande le bilan, le parent est prié de le faire réaliser et d’en donner les résultats. Souvent le parent consulte sans même être informé de la nécessité d’obtenir une prescription, et parfois sans même comprendre les raisons de ces demandes, les confusions des genres sont accentuées, les attentes inappropriées de la part des familles se multiplient (venir en orthophonie pour améliorer ses résultats scolaires…). Le prescripteur est vu comme un distributeur d’ordonnances.
    • Multiplication de demandes inappropriées, qui sont autant d’atteintes au secret médical ou d’incitations à le transgresser : pression pour participer aux réunions pédagogiques (on rappelle que, à l'heure actuelle, ceux qui y vont le font bénévolement, et même à perte, et qu’en aucun cas ils n’ont le droit d’y faire autre chose qu’écouter…), voire intervenir pour des rééducations au sein de l’école (ce qui pose un problème clair de confraternité lorsqu’un orthophoniste accepte, dans un secteur donné, alors que ses collègues ne le font pas), pression pour fournir des compte-rendus et écrits divers, paperasse à remplir, coups de téléphone incessants, etc… Un compromis est peut-être à trouver dans l'intérêt du patient, mais pour l'heure nous n'en avons pas les moyens (ni financiers, ni conventionnels, ni juridiquement valides).
  • Difficultés résiduelles avec le monde médical :
    • Orientations pour le bilan orthophonique sans nous en donner les raisons, le contexte, et les résultats des examens préalables éventuels (bilan de l’audition, de la vue, CR d’IRM, CR opératoires, etc): nous recevons les patients avec pour tout élément tangible le carnet de santé (lorsque c’est un enfant et qu’on pense à nous l’apporter), et les explications souvent floues des patients eux-mêmes.
    • Parfois encore... prescriptions inutilisables car non conformes à la NGAP.
    • Difficultés à obtenir rapidement les examens complémentaires nécessaires demandés.

Des solutions pour avancer ?

L’avantage, lorsque des professionnels aussi créatifs que les orthophonistes se parlent, et s’autorisent à réfléchir hors des sentiers battus, c’est que des tonnes d’idées émergent.

 

Ces derniers temps, les réseaux sociaux ont vu fleurir et se développer ces idées. Nous vous proposons d’apporter votre voix au débat que ces groupes d’orthophonistes souhaitent ouvrir. Un questionnaire va être diffusé très prochainement, il reprendra les idées évoquées. Vous aurez également la possibilité de vous exprimer sur le constat posé.

Vous pouvez d'ores et déjà nous laisser vos commentaires ici, ou venir en discuter avec nous sur le groupe : https://www.facebook.com/groups/199147570427942/

 

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