Un amendement peut en cacher un autre


Le mot « amendement » a été beaucoup prononcé dans le petit monde de l’orthophonie ces derniers temps.

Nous découvrions ainsi que l’avenir et la forme de toute une profession pouvait tenir à quelques phrases surgissant dans un texte de loi.

Arrivé presque par surprise dans une communauté professionnelle qui n’en attendait pas tant et n’y voyait pas de justification dans le contexte difficile de leurs exercices, cet amendement allait devenir l’objet de discussions passionnées.

 

Récapitulons grossièrement les étapes de cet imbroglio orthophonico-législatif : le gouvernement a à cœur d’apporter des transformations à notre système de santé. C’est le projet de loi Améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dont la rapporteure est Mme Rist (LREM, membre de la commission des affaires sociales à l’Assemblée Nationale). Il s’ensuit tout un jeu de va-et-vient entre les chambres et les commissions (c’est très compliqué, nous en resterons là).

 

C’est donc lors de la lecture du texte par le Sénat qu’avait été ajouté un amendement qui permettait un accès direct aux soins orthophoniques, sans passer par la case prescription. Enfin presque, parce que de nombreux doutes (justifiés) subsistaient sur la manière dont pourrait bien s’établir la vérification de la légitimité de l’intervention et du fondement des séances qui y seraient adossées. Un des groupes parlementaires proposait même de déposer le compte rendu de bilan dans le DMP (qui rappelons-le n’est pas à ce jour obligatoire) voire même de conditionner le versement de nos honoraires à une validation du médecin, qui de prescripteur devenait agent de vérification comptable avec toutes les dérives et l’humiliation que cela comportait.

 

Las, on nous annonçait une réunion absolument décisive de la commission mixte paritaire qui avait le pouvoir de reléguer le dit amendement aux oubliettes ou si elle se mettait d’accord sur tout, d’entériner le projet en l’état, sorte de mélange entre le texte initial et les modifications apportées par le Sénat.

Tremblements de la part de la profession favorable à l’autonomie : la commission ne s’était pas mise d’accord sur l’ensemble du texte, mais quid de l’amendement, on n’en savait que pouic ! Miracle, lorsque les travaux de la commission furent rendus public, tout le monde était d’accord pour entériner cet amendement.

 

Victoire ? Et bien non, car faire la loi est un exercice complexe et sinueux. Le 18 mars dernier nouvelle lecture de la loi et coup de théâtre, un amendement, le n°165, est ajouté in extremis la veille par le gouvernement et adopté définitivement. L’amendement du Sénat, lui passait à la trappe.

Le cinquième alinéa de l’article L. 4341-1 du code de la santé publique, est donc maintenant complété par la phrase suivante :

« Il [l'orthophoniste] peut adapter, sauf indication contraire du médecin, dans le cadre d’un renouvellement, les prescriptions médicales initiales d’actes d’orthophonie datant de moins d’un an. »

La montagne a accouché d’une souris.

Exit l’accès direct, bonjour l’adaptation de prescription!

 

Les échanges entre députés sont édifiants pour se rendre compte de la vision réductrice de notre profession, s’occupant donc essentiellement d’enfants et c’est sur ce postulat que nos représentants trouvaient judicieux de nous lâcher (un peu) la bride.

 

Le problème est qu’on se demande bien quand et surtout comment nous pourrons concrètement adapter la prescription, alors même que cette dernière mis à part l’injonction du bilan, nous laisse toute latitude pour choisir une cotation et exécuter le nombre de séances que nous décidons d’effectuer ( dans le respect de la NGAP). Qu’allons-nous adapter ? Et comment saurons-nous si le médecin nous y autorise, le tout pour une prescription de moins de un an ? Il y a fort à parier que nombre de prescripteurs ajouteront l’indication « non adaptable » sur leur prescription, pendant orthophonique du « non substituable » pour le pharmacien…

 

Il faudra rester vigilants sur la suite cependant, une petite phrase sibylline de Mme Rist lors des débats du 18 mars dernier, indique « l’accès direct est un point essentiel pour l’amélioration de l’accès aux soins et il me semble que nous pouvons nous donner quelques semaines de plus, puisque nous aurons prochainement d’autres occasions d’aborder le sujet. ». Quelles seront ces occasions ? Le mystère s’épaissit… En tout cas, la position du gouvernement est extrêmement claire, nous sommes plus que jamais auxiliaires. C’est d’ailleurs l’esprit de l’amendement puisqu’il est justifié ainsi : « l’accès aux diagnostics et aux soins en orthophonie, au regard de la variabilité de la gravité des pathologies pouvant entrainer des troubles du langage chez l’enfant ou l’adulte, doit nécessairement continuer à intervenir après un diagnostic médical. ».

 

Il est donc bien difficile d’envisager dans quel cas cette petite phrase viendra modifier l’exercice des orthophonistes et l’accès aux soins pour les patients.

On peut discuter de la pertinence de la prescription, mais en ce qui concerne cet amendement il vient rendre un peu plus nébuleux encore un pan de notre exercice. Ironique si on en croit l’intitulé de la loi :

« Améliorer le système de santé par la confiance et la simplification… »

Pour les curieux, voici de la lecture :